24 févr. 2010

''My Island in the sun''

Texte écrit pour la soirée-bénéfice Complainte pour une Vénus Noire

Tu marches. Tes pieds sont poussière et tes mains sont briques, béton, pierres, tes pieds s'effritent et tes mains lourdes ne savent plus rien soulever. Tu marches. Devant toi ce n'est plus la rue ce n'est plus le quartier, ce ne sont plus les gamins sans chaussures qui tapent un vieux ballon, ce ne sont plus les marchands de fruits et leurs trésors colorés, devant toi c'est gouffre de silence, devant toi c'est la tempête immobile. La tempête endormie.
Tu marches. Tu ne sais plus d'où tu viens tu te demandes où tu es né tu te rappelle être arrivé par avion ce matin l'aéroport avait le bras en écharpe tu t'es engouffré dans un Jeep qui roulait trop vite tu as eu mal au coeur dans les route estropiées.
Et puis, tu as vu par la fenêtre de ton jeep tu as vu ce que tu n'aurais jamais pu jamais voulu imaginer tu as vu une ville piétinée par l'immense main de la nature, tu as vu une histoire une culture en débris, tu as vu des corps meurtris déposés sur le sol, tu as vu des gens hurler, tu as vu un bras d'enfant sous un tas de ruines trop lourd. Tu as vu un homme passer à vélo avec un sac de riz sur l'épaule.

Le jeep s'est arrêté. Il n'y a avait plus de route. Il n'y avait plus de sol. Vous avez fait le reste à pied.
Tu marches. Parmi les hommes, parmi les femmes, parmi les chiens qui cherchent, parmi les secours qui te regardent avec des yeux trop pleins pour pouvoir les lire, parmis les blocs de béton la vitre cassée tu marches tes pieds traînent les larmes des orphelins de Port-au-Prince et les soupirs de soulagement des coups de fil outre-mer qui disent: ''Je vais bien''.
Tu marches derrière ta tête vient frapper la rumeur constante des sirènes et des cris, et sur ta tête tape ce soleil splendide, presque obscène, à quelques centaines de kilomètres sur la même île des vacanciers sirotent des pina-coladas en se faisant griller. À deux pas de toi, deux fillettes se partagent une bouteille d'eau. Tu marches.
Au loin tu aperçois l'équipe que tu dois rejoindre. Enfin. Tes pieds poussières accélèrent le pas, tu marches encore mais maintenant tu ne regardes plus les murs évanouis, les blessures sur ce qu'il reste des maisons. Ils sont cinq. Cinq secouristes....et quinze habitants de la ville, quinze hommes couverts de poussière, quinze femmes pieds-nus, qui se promènent entre les survivants meurtris, quinze maris qui pansent et désinfectent les plaies, quinze mères qui bercent des chagrins plus grands qu'eux, quinze amis qui n'ont pas dormi depuis trop longtemps, quinze citoyens qui reconstruisent déjà leur pays, quinze humains qui te montrent qu'ils sont plus forts que la mort.


les grands pins

Ce sont des envies de grands départs qui te prennent par le ventre quand tu conduis sur ce boulevard trop large. Des envies de Côte-Nord, de Labrador, de grands vents dans tes poumons, des vents de Matane et de Rimouski, des vents de Sept-Iles, des Éboulements, de Baie-Comeau.
Tu sais plus si c'est l'est ou l'ouest ou le nord qui te tire, qui te chante des ballades dans la langue de ta grand-mère, tu veux que ton char avale des kilomètres et des panneaux routiers, tu veux t'arrêter chez des gens que tu connais pas pis demander ton chemin. Ce sont des envies d'Abitibi, des enivrances de montagnes de sentiers de mousse et de cailloux, quand tu conduis sur ce boulevard trop large tu t'accroches à la première volée de bernaches du printemps et tu la suis jusqu'au Saguenay, tu t'en vas jusque iousqu'y a plus de route. Là-bas, tu t'assois sur ta grande galerie, tu as des bisons des sangliers un jardin jusqu'au couchant, là-bas tu t'appelle Marie Amyotte, ta mère est huronne et tu chantes en trois langues et tu chantes en ta langue.

17 févr. 2010

Dimanche 1993

Souvent, le dimanche, juste après la messe, il venait dîner à la maison. Maman achetait un pain belge à la pâtisserie, et quelques meringues quand je l'accompagnais. Je me rappelle la voiture mauve bourgogne stationnée devant la maison, je me rappelle de lui assis au bout de la table et de nous qui l'écoutons parler, derrière lui la porte patio éclaire la nappe blanche nous savons tous qu'il a fait la guerre nous en sommes fiers. Une fierté qui glace le sang un orgueil dont on ne sait rien de la valeur. Il paraît qu'il était aviateur, il paraît qu'il était radio, il paraît qu'il était mécanicien, il paraît qu'un jour il a survécu a un terrible accident d'avion et que tous ses amis sont morts sous ses yeux. Il nous raconte son trajet, de la rue de Bruxelles jusqu'à chez nous, il nous fait un rapport détaillé de la route, de sa vitesse, de sa consommation d'essence. Dans son regard, mille milliards de kilomètres défilent, mille milliards de kilomètres, remplis d'avions, de murs, de barbelés, de cigarettes, des kilomètres de coleslaw, d'orphelinats, de beaucerons, des kilomètres d'Hélènes, de rouge à lèvre rouge rouge, de motos, des kilomètres de terrains de camping, de coffres à vaisselle verts, d'usines, des kilomètres de cartes postales, de chapeaux de paille, de chemises à manches courtes, de naissances et d'adieux.
Nous sortons tous dans la cour, Papa et Maman ramassent la vaisselle et la nappe blanche. Le soleil de juin nous tape sur la tête et la piscine hors-terre est encore verte dans les coins. En nageant, avec mes lunettes de plongée, je regarde les carcasses d'araignées en suspension. Il nous surveille, on file doux, pas de bagarres pas de hurlements que des jeux calmes, pourtant il n'a rien dit il ne nous fait pas peur il ne nous chicanera pas il est seulement là, il nous surveille.
Quatorze heures. L'heure du départ. On joue dans l'entrée de garage et il sort. Becs sur les joues, Papa et Maman sur la galerie, becs sur les joues, aux grands frères qui ont mis des cartons dans leurs roues de vélos pour faire du bruit. Moi j'attends mon tour dans les marches, ma mère me met mon chapeau rose, mon père crinque la caméra, lui s'approche et vient me dire au revoir. Je le regarde, il m'impressionne trop je ne sais plus répondre. Et le héros silencieux s'en va, avant que je ne retrouve ma langue.


5 févr. 2010

Loon blues

Tu voudrais pouvoir te rouler dans neige mais y a juste de la sloche brune. Tu voudrais faire tomber les highways, planter des saules dans les égouts de la rue Sainte-Catherine. Les ruelles sont assommées de sacs poubelles, le printemps pue des pieds.

Tu voudrais que Montréal soit New-York tu voudrais des bars que tu connais pas encore, des inconnus à tous les coins de rues, tu voudrais te casser le cou en regardant la cime des grattes-ciel.

Tu voudrais être au nord et parler anglais avec des étrangers.

Une piastre dans la poche de ta chemise.

Hey Loon gimme a kiss, throw you wings to the sky,
I will be waiting by the lake, for you, for a feather to pass by
And if I can spread my arm high enough to get it
Try de me ramener chez nous aux pieds des chutes